Dans lhistoire de la musique, Joseph Bodin de Boismortier(né à Thionville le 23 décembre 1989, mort à Roissy-en-Brie
le 28 octobre 1734), fait figure dexception à plus dun titre.
Originaire des confins du Berry, la modeste famille Bodin se fixa à
Thionville où le père du compositeur, ancien militaire, devint confiseur.
Vers 1691, tout ce petit monde sinstalla à Metz, où Boismortier devait recevoir
son éducation musicale. De qui ? Nous savons maintenant quil sagirait de Joseph Valette de Montigny
(1665-1738), mottetiste accompli, et non dHenry Desmaret, Boismortier suivit dailleurs son
maître en 1713 à Perpignan, en plein pays catalan... comme receveur de la Régie
Royale des Tabacs, charge bien éloignée sil en est dun quelconque emploi musical !
Boismortier épousera dailleurs en 1720 Marie Valette, une des nièces éloignées de
son professeur, issue d'une famille dorfèvres fortunés.
Resté près de dix ans à ce poste, le nouveau catalan a laissé quelques
traces de son activité musicale. Deux de ses Airs à boire publiés
à Paris par Ballard en 1721 et 1724 prouvent que Boismortier avait déjà
composé à Perpignan un bon nombre de ses compositions et quil testa le public parisien
du fond de sa province catalane.
Sur les recommandations du vicomte dAndrezel, intendant du Roussillon et futur ambassadeur du Roy
à Constantinople, Boismortier expédia ses affaires courantes et partit sinstaller avec sa
femme et sa fille à la Cour de la Duchesse du Maine, à Sceaux, puis à Paris.
Ce fut le départ dune prodigieuse carrière dans la capitale : carrière autant
admirée que critiquée. Jean-Benjamin de la Borde, le célèbre théoricien,
contemporain de Boismortier livra un portrait charmant et réaliste du compositeur dans son
Essai sur la musique ancienne et moderne (1780) :
« Boismortier parut dans le temps où lon aimait la musique simple
et fort aisée. Ce musicien adroit ne profita que trop de ce goût à la mode et
fit pour la multitude des airs et duos sans nombre, quon exécutait sur les flûtes, les
violons, les haubois, les musettes, les vielles, etc. Cela eut un très grand débit ;
mais malheureusement, il prodiga trop de ces badinages harmoniques, dont quelques-uns étaient
semés de saillies agéables. Il abusa tellement de la bonhomie de ses nombreux acheteurs
quà la fin on eut dit de lui :
Bienheureux Boimortier, dont la plume fertile
Peut tous les mois, sans peine, enfanter un volume
Boismortier, pour toute réponse à ces critiques, disait :
« Je gagne de largent ». Ce musicien était plaisant, ingénieux et de
bonne compagnie ; il faisait des vers à la manière de Scarron, dont certains courraient
dans les sociétés. »
Créateur prolixte, on ne peut quêtre surpris par limportance
de la production du musicien français : 102 numéros auxquels sajoutent des airs, des
partitions séparées, des grands motets et un dictionnaire harmonique. Il fut enfin
théoricien en publiant une méthode de flûte et une autre de pardessus de viole.
Boismortier nhésitait pas, en effet et suivant la mode du temps - certainement par goût
des combinaisons et des expériences nouvelles - à composer pour presque tous les
instruments. On redécouvre actuellement ses sonates pour pardessus récemment éditées
ainsi que ses recueils pour musette et vièle ; deux instruments pastoraux très en
vogue à lépoque. La majeure partie de son œuvre reste cependant consacrée
à la flûte traversière qui, en ce début de XVIIIème siècle,
occupait le devant de la scène avec le clavecin.
Il ne délaissa même pas la voix, pour laquelle il rédigea quantité dairs
sérieux et à boire, de canates françaises, de petits motets, de motets à
grand chœur, de cantatilles et, bien-sûr, dopéras-ballets :
Les Voyages de l'Amour (1736), Don Quichotte chez la Duchesse (1743),
Daphnis et Chloé (1747), et deux œuvres non représentées :
Daphné (1748) et Les Quatre Parties du Monde (1752). Victime parmi tant
d'autres de la Querelle des Bouffons, il se retira de la scène musicale vers 1753.
Boismortier possédait une petite propriété, la Gâtinellerie, à
Roissy-en-Brie, où il devait terminer ses jours à lâge de soixante-six ans,
après avoir demandé à être inhumé dans la nef de léglise paroissiale.
Labbé Raynal, en 1747, évoquait Boismortier en des termes peu
amènes :
« Ce musicien, plus abondant que savant, plutôt mauvais que médiocre,
sest acquis dans le métier la même réputation que labbé Pellegrin avait
dans le sien. Celui-ci était obligé de faire des vers pour vivre, et est mort en poète ;
celui-là a fait une petite fortune par le grand nombre douvrages quil a donné au public.
On les achète sans les estimer ; ils servent quà ceux qui commencent à jouer
des instruments ou à quelques tristes bourgeois dans les concerts dont ils régalent lerus voisins
et leurs compères. ».
Il est vrai que 50 000 écus issus de ses « productions harmoniques » pouvaient
faire plus dun jaloux !
Boismortier évolua donc dans un Paris effervescent, inondé de musique
italienne sous limpulsion des premiers précurseurs tels Couperin, et caractérisé
par une vie vouée aux plaisirs que le Régent cultivait avec bonheur. A cette époque,
on transformait les grandes salles en appartements plus intimes et tout traduisait le Joli plus que le
Beau ; une grâce infinie dont la recherche frôlait parfois laffection.
En musique la « petite manière » devint reine et les longues chaconnes ou les allemandes savantes firent
place aux mouvements porteurs dune virtuosité nouvelle. Boismortier avait bien perçu
ce changement de sensibilité et sa plume sen fit l'expression. Et si Evrard Titon du Tillet,
dans son dernier supplément de son « Parnasse François » - daté de
1756 - consacre Boismortier comme un membre illustre de son monument élevé « à
la mémoire perpétuelle des illustres poètes et musiciens français »,
cest que nous devons assurément redonner au compositeur longtemps méprisé, la
place qui est la sienne.