Ce nest peut-être pas tant un voyage dans lespace que nous ont offert
la compagnie française de danse baroque lÉventail et lensemble de musique
Les Idées heureuses, vendredi et samedi dernier, mais bien plutôt un voyage dans le temps.
Véritable machine à remonter les siècles que cette soirée réunissant sur une même scène
sept danseurs et neuf musiciens pour un spectacle dont les pièces musicales et
chorégraphiques, toutes baroques bien-sûr, nous ont fait voyager dans la France à lAngleterre
et de lAllemagne à lItalie.
Plus quune simple suite de partitions dansées, Voyage en Europe
se déployait dans une véritable mise en scène où les personnages, prince, princesse,
duc, duchesse, chevalier, amoureux, compagnons, polichinelle, etc., se sont succédés
dans des évolutions chorégraphiques on ne peut plus exquises ; notamment
dans le jeu des ornementations et des déplacements dans lespace.
Dans des décors mélangeant simplicité et somptuosité - un portique, tel un cadre
de scène, à lintérieur duquel des toiles représentant chacun des pays visités étaient
installées -, chacune des étapes du voyage sélaborait autour dun trait caractéristique
du pays ; le maniérisme en France, la tragédie en Angleterre, le romantisme
en Allemagne, la séduction et lamour en Italie.
Jamais on avait vu à Montréal un spectacle de danse baroque de cette teneur.
Outre la beauté des costumes, loriginalité des morceaux chorégraphiques
imaginés par Marie-Geneviève Massé, quon aurait dit tout droit sortis
du XVIIe et XVIIIe siècles, on retiendra ici la qualité
exceptionnelle des interprètes.
Sept danseurs tous virtuoses dans cet art dune complexité insoupçonnée,
nont cessé de nous impressionner et de nous charmer par le dynamisme
et la fluidité de leur danse, tout comme la précision incroyable
de leurs gestes.
Pas de faille dans les passages les plus difficiles et surtout,
une impressionnante finesse d'exécution dans les jeux infinis de pieds,
comme dans les plus petits mouvements de bras, de mains et même de doigts.
Accompagnée dune suite de pièces musicales envoûtantes, dont le très beau
Concerto en ré mineur pour violon, luth et basse continue
de Vivaldi - un concerto où la violoniste Nicole Trotier a brillé par
la sensibilité de son interprétation - la danse semblait semblait ne
faire quune avec la musique.
Une harmonie complète, fine comme de la dentelle, émanait de ce mariage
entre éléments musicaux et chorégraphiques, entre les danseur de lÉventail
et les musiciens, superbes, de lensemble Les Idées Heureuses.
Cest dailleurs dans cette rencontre parfaite que lon a retrouvé la véritable
identité et la magie du baroque, dont le but premier était la fusion
entre les différentes formes dart entre elles.
Une soirée particulièrement réussie, sous le signe de la distinction
et de lélégance.
La musique et la danse baroque célèbrent leurs noces
à Sablé-sur-Sarthe
Une convention « musique et danse anciennes », première du genre, vient dêtre signée entre lEtat
et lassociation Entracte, organisatrice du Festival de la ville sarthoise.
Un signe de plus de l'attirance exercée par cette période sur un vaste public
La signature, le 23 août, dune convention entre lEtat, via la direction régionale
des affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire, et lassociation Entracte, chargée dorganiser
le Festival de Sablé-sur-Sarthe et une saison dhiver au Centre culturel municipal Joël-Le-Theule,
est une première dans le domaine chorégraphique.
Les scènes nationales et scènes conventionnées dévolues à la danse contemporaine existent déjà, mais rien navait été
encore structuré de la sorte en faveur de la danse ancienne.
Signée notamment par le directeur régional des affaires culturelles, Michel Clément, et le maire de Sablé-sur-Sarthe,
François Fillon, cette convention « musique et danse anciennes » définit la mission de la façon suivante :
« Un travail particulier sera réalisé autour des œuvres pour la scène, dans le prolongement des recherches effectuées
à Sablé au fil des années autour de la relation musique-danse intégrant le chant, la gestuelle baroque
et lart déclamatoire. »
Cette décision est heureuse : cela fait plus de vingt-cinq ans que les premiers festivals de musique ancienne ont
commencé dimposer, en France, une musique qui sest aujourdhui presque intégrée à cette galaxie quon nomme
« grand répertoire ». La musique baroque, en particulier, attire un très vaste public, non seulement pendant
les festivals estivaux mais aussi pendant lhiver, au sein des grandes institutions, comme le Théâtre des Champs-Elysées,
à Paris, dont la saison 2000-2001 est dominée par lopéra baroque.
Cette situation est bien différente de celle connue au milieu des années 70, quand des cénacles spécialisés,
bientôt traités de « baroqueux », considéraient cette pratique comme une avant-garde équivalente, en propos
et en audience, à celle de la musique contemporaine. (...)
A Sablé-sur-Sarthe, Jean-Bernard Meunier, directeur de lassociation Entracte, continue, lui, de se concentrer sur
la musique plus strictement baroque, mais assure ne pas le faire par conformisme : « Je crois toujours à la capacité
quont les musiciens jouant ce répertoire à revoir leur copie et à évoluer quant à leurs positions esthétiques ou
théoriques. Il est arrivé, à Sablé, que des artistes avouent sêtre trompés de piste et remettent à plat leur conception
dune œuvre ou d'un compositeur. » (...)
« Nous avions plutôt lintention, avoue Meunier, de nous attacher à une formation instrumentale baroque, par exemple,
lensemble de Hugo Reyne. Mais A Sei Voci avait déjà de nombreux contacts avec des institutions publiques locales et
régionales, et il nous a paru intéressant de travailler avec eux, et je ne le regrette pas. »
Ce qui entre davantage dans le « cœur de cible » des activités de Sablé-sur-Sarthe : la danse ancienne.
Depuis vingt ans, ce centre est le seul à avoir structurellement associé, chaque été, les recherches dans les domaines
de la danse et de la musique baroques, en permettant à des représentants des deux disciplines de confronter leurs savoirs
et leurs expériences. Et lon sait que le contact quont pu avoir des musiciens comme Antoine Geoffroy-Dechaume ou
William Christie avec Francine Lancelot, chef de file français de la danse ancienne en France, a profondément modifié
leur connaissance de la musique de ballet en leur indiquant de nouveaux tempos, de nouveaux appuis. « En vingt ans, nous sommes devenus un lieu de croisement fréquenté par beaucoup, rappelle Meunier.
Aujourdhui notre ambition est dêtre non seulement un centre dinformation, d'orientation et de formation et
dassurer des créations dans le domaine de la danse baroque. »
Pour ce faire, Jean-Bernard Meunier sest associé à lune des principales représentantes du mouvement chorégraphique
baroque, Marie-Geneviève Massé, et à sa compagnie LEventail, dont lexcellence du travail aura pu être constatée,
dans un spectacle à lOpéra de Versailles (Le Monde du 4 juin 1999).
Cest peut-être parce qu'elle a perdu cette force de subversion que la musique dite « baroque »
a fini par convaicre certains festivals
Le directeur de lassociation sarthoise est heureux de ce soutien nouveau, né de la convention.
Il nest pourtant que de 375 000 francs (57 170 euros) annuels de la part de la DRAC (dont 15 000 francs, 2 290 euros,
dévolus à une autre manifestation, Rockyssimômes).
Soit à peu près la moitié de ce que coûte un concert dun orchestre symphonique de prestige...
« Nous nous sentons encouragés, et cest ce qui compte. Mais cela vient opportunément compléter laide majoritaire
de la ville de Sablé (plus de la moitié du budget total) et celles du conseil général de la Sarthe,
du conseil régional des Pays de la Loire et de nos recettes propres de billetterie.
Mais, quand on sait que le prix dun costume de danse baroque est d'environ 10 000 francs, vous aurez compris que,
même en surveillant les coûts, la production de spectacles revient cher... »
Après une brusque flamblée dintérêt au tournant des années 80, en partie due au rôle prédominant
et novateur de la compagnie Ris et Danceries, de Francine Lancelot et François Raffinot, la danse baroque a cessé de faire
parler delle. Pourquoi ? Serait-elle devenue ennuyeuse ? Se cantonnerait-elle dans la reconstitution historique, pas à pas,
oubliant quelle avait de joyeusement iconoclaste, il y a quinze ans, dans se tourner vers la danse contemporaine ?
« Quand on crée, on crée, affirme Marie-Geneviève Massé, une ex-danseuse de Ris et Danceries,
fondatrice en 1985 de la compagnie LEventail.
Jinvente alors, riche de toutes les connaissances de l'époque baroque. La reconstitution des partitions chorégraphiques,
je la réserve aux ateliers, qui ont pour but de découvrir et de partager un patrimoine quil ne me viendrait pas à
lidée de remplacer par une de mes créations.
La vérité historique est la nourriture et le support qui permettre de créer. »
Le travail de la chorégraphe lui vaut dêtre accueillie pour trois ans en résidence de création à Sablé.
Marie-Geneviève Massé sera attachée au Centre culturel Joël-le-Theul, et deux studios spacieux seront mis à sa disposition.
Autre attrait de cette résidence : laugmentation importante des subventions.
Bénéficiant dune convention quadripartite (ville, département, région, Etat),
elle devrait sélever à 900 000 F (137 000 euros).
« Jai été impressionée par la force que cette musique apportait à mon corps,
par cette harmonie incomparable »
« Je déménage à Sablé et jy installe l'administration de la compagnie, explique-t-elle.
Mais la résidence dont je jouis actuellement à Courbevoie continuera jusquen 2001, afin que mes danseurs
aient le temps de sorganiser.
A Sablé, je veux développer un centre de formation chorégraphique pour professionnels qui toucherait aussi bien
les danseurs que les chanteurs ou les comédiens concernés par le mouvement baroque.
Jaimerais que cet enseignement évolue vers une académie. Parallèlement, je souhaite enseigner aux enfants
qui sintéressent soit à lacrobatie, soit à lescrime, deux disciplines en relation directe avec lépoque.
Dans les ballets de cour, on note souvent la présence denfant acrobates.
Dune part la danse était réservée aux courtisans, gens darmes, pratiquant l'escrime ; je vois des des similitudes
de positions entre lescrime et la danse, notamment dans les oppositions de bras.
Louis XIV la écrit, mais aussi dautres, il y a une relation dévidence entre la danse et la dextérité
du métier de guerrier. »
La danse baroque nest-elle cependant qu'un genre ancien nayant que peu de rapport avec notre monde actuel ?
« Ce qui est actuel, parce que intemporel, c'est lémotion.
Ecoutez la Sonate pour deux violons de Rosenmüller, les concertos de Vivaldi, cest bouleversant.
Quand jai découvert la danse baroque, jai été impressionnée par la force que cette musique apportait à mon corps,
par cette harmonie incomparable.
La danse baroque, dans la manière dont elle est codée, fait origine, doù sa force, sa résistance à survivre
jusquà aujourd'hui. Je passe mon temps à essayer de partager cette émotion. » (...)
Pour louverture du Festival de Sablé, Marie-Geneviève Massé signait le 23 août une création desprit nomade,
intitulée Voyage en Europe.
Périple musical et chorégraphique conduisant en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne et, pour finir,
en Italie, entre croisant des partitions de Campra, Purcell, Rosenmüller et Vivaldi.
Cette pièce tout en mouvements sera reprise dès octobre au Théâtre Montansier de Versailles.
La chorégraphe pense déjà à sa future œuvre, sur le Don Juan de Gluck :
« Un ballet daction chorégraphié par Gasparo Angiolini, un rival des idées du fameux Noverre
qui naimait pas les effets, la danse qui danse trop.
A l'inverse, Angiolini appréciait quand ça gigote. Moi aussi jaime bien la danse qui bouge.
Et bouger pour bouger. »
Le Gala de la Compagnie lÉventail où lÂme de la Danse
Plus que de pirouettes acrobatiques, plus que de sauts extravagants, lart chorégraphique de la
Compagnie lEventail est fait surtout d'attitudes, de poses et de gestes infiniment gracieux
qui suggèrent, qui vont rêver, et... admirer.
On se complaît dans ce ravissement permanent à chaque instant du spectacle conçu
par Marie-Geneviève Massé, présenté mercredi soir au centre culturel.
Les pas se répètent, et les balancements, et les cadences, mais à chaque scène ils diffèrent par la place
quils occupent dans le déroulement du ballet, un mouvement perpétuel délégance, de grâce et dharmonie.
Chaque détail est soigné - on sait combien Marie-Geneviève Massé est exigeante - quil sagisse des costumes,
du décors, et rien nest laissé au hasard, tout étant parfatement réglé.
Sil faut avouer qu'à part le final italien, la trame des différents canevas qui racontent lEurope est faite
de subtilités qui échappent quelque peu, il faut pardonner aux spectateurs leur grand plaisir de voir
plutôt que celui - moins drôle - de comprendre, lâme étant plus essentielle, selon Valéry, que la forme...
Et puis, on a découvert un ensemble instrumental, « Les Folies Françoises », excellent dans ses qualités
de jeu et dexpression, dirigée de son instrument par le violoniste Patrick Cohen :
chacun des musiciens donne à lensemble une unité de ton, de sonorité, et de « couleur » très réussie.
Comme à chaque fois, au centre culturel, on a eu très chaud - la climatisation fonctionnant mal sans doute ? -
mais cela na pas gâté le plaisir renssenti par un public émerveillé, enthousiate, et entièrement sous le charme :
cela, cétait très rafraichissant !
« La Fête à lenvers », à lOpéra de Nancy et de Lorraine
Musique de cour pour un roi de carnaval
Versailles sétait invité Place Stanislas, le temps dune unique
représentation du Carnaval ou « La Fête à lenvers », une comédie-ballet
orchestrée par Hervé Niquet et la chorégraphe, Marie-Geneviève Massé, sur une
musique instrumentale de Joseph Bodin de Boismortier, compositeur né à Thionville en 1689.
Dans la fosse, les musiciens du Concert Spirituel et sur le plateau, les danseurs de
la compagnie de Marie-Geneviève Massé, LEventail.
Un décor de toiles peintes représentant un palais baroque, une pièce deau, des colonnades
et de somptueux costumes signés Alexandre A. Vassiliev.
Avec un argument tout simple pour faire vivre ce majestueux tableau : un divertissement offert
à Colin 1er, roi de Carvanal. Excellent comédien, le monarque dun jour assiste à des
gavottes et des menuets galants.
Les pas sont parfaitement réglés.
Il est vrai que cest une musique écrite pour être dansée. Molière pointe son nez, quand des
docteurs Diafoirus réveillent les agonissants. Leur carcasse tremble au son aigrelet des vielles
à roue et des musettes de cour.
Lorsque le greffier est appelé pour rédiger un texte de loi, cest Beaumarchais qui avance
ses souliers à boucles. Un spectacle très coloré, scéniquement et musicalement. Il y a du
rythme, de la grâce, de lélégance.
Hervé Niquet et Marie-Geneviève Massé ont réussi à marier les contraires et obtenu ce que
réclamait Colin 1er à son homme de loi pour la rédaction du code du bonheur : quelque chose
de pompeux et léger.
Baroque : pour le plaisir des oreilles et des yeux
Ce Carnaval ou la fête à lenvers était un peu la réplique
au Don Quichotte chez la Duchesse sur la musique du même Joseph Bodin de Boismortier qui
avait ravi lan dernier les spectateurs de Metz et de lOpéra-Comique. La scène de lArsenal
utilisée dans ses grandes largeurs, accueillait un vaste décor fixe de symétriques toiles
peintes faisant relief et donnant cette impression stéréoscopique dans la
représentation des colonnes classiques, chapiteaux et balustres sur fond de château et
de pièce deau.
Lensemble baroque (à seize) du Concert Spirituel, flanqué sur le côté gauche,
jouait en cercle autour dHervé Niquet, commandant de son clavecin, son instrumentarium
pigmenté pour l'occasion de musettes de cour et de vielles à roue fondues au milieu des cordes
et des flûtes à bec. Voilà qui donnait un caractère champêtre et convivial à la musique
dun Boismortier sécartant des conventions académiques et mariant habilement la Sinfonie
à la française et la musique dansée de l'époque. Quant aux treize danseurs de la
compagnie LEventail fondée par Marie-Geneviève Massé, (une transfuge de
Ris et Danceries de Francine Lancelot accueillie il y a neuf ans en cette
même salle), ils allaient incarner tour à tour une trentaine de personnages au fil de ces quatre
Ballets de village encadrés par les dix-huit morceaux composant la Sérénade.
Louvrage, monté de toutes pièces et dont Nancy avait eu la primeur de la création la
semaine précédente, tient de la comédie-ballet, mais on est loin cependant de
ces spectacles de cour à la solennité hiératique et ampoulée cherchant leur
thématique dans la mythologie et glorifiant le monarque en place. Ici, cest tout linverse. On
taquine - plutôt habilement - la muse légère qui fut jadis en vogue du côté de la Foire
Saint-Germain et qui débouchera à lOpéra-Comique.
Dans cette Fête à lenvers, on soulignera le soin apporté à la confection
des costumes pastel ou passablement chamarrés selon le goût et le style de lépoque
louis-quinzième. Le texte, dit par plusieurs comédiens-danseurs nest pas très audible (on
sait que lArsenal est peu fait pour le théâtre parlé) mais laction est si mince que lon a peu
de peine à suivre la gloire et les déboires de ce roi Colin 1er de Carnaval au milieu de sa
Colinette, du berger et de la bergère, du prince et de la princesse des vanités, du capitaine de
la jeunesse, des égyptiennes, des Lucie, des trois docteurs, du guerrier, des turlupins et
autre cheval-jupon. Un plaisir pour les oreilles et pour les yeux en clôture de saison de la
série baroque de lArsenal.
Versailles fait redécouvrir Boismortier, compositeur du XVIIIe siècle
« Le Carnaval ou la Fête à lenvers », rafraîchissant mariage de danse et de musique baroques
Le Carnaval ou la Fête à lenvers : titre
prophétique, si lon en juge, ce 31 mai, à labsence navrante de public et dhumeur festive
à lOpéra royal, dont les splendeurs désertées semblent un mausolée. Comment est-il
possible que létablissement public du château de Versailles produise comme en sous-main,
cest-à-dire sans le faire vraiment savoir, des spectacles comme celui-ci, venus de Nancy, passé
à Metz et qui ira à Sablé-sur-Sarthe cet été ?
Quand on imagine le prix dune telle soirée, on se dit quil est scandaleux den priver un
plus large public. Et ce dautant que Le Carnaval ou la Fête à lenvers, spectacle
construit à partir de deux partitions de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), les Quatre
Ballets de Village op. 52 et la Première Sérénade op. 39., est lune des choses les
plus rafraîchissantes que lon ait vues et entendues récemment dans le domaine de la
musique baroque française. (...)
Boismortier nest pas Rameau, cela va sans dire, mais sa musique très italianisante, a
quelque chose davenant, au premier abord superficiel, mais dune densité discrètement
persuasive. Les disques dHervé Niquet (Naxos) consacrés au compositeur ont montré que cette
musique « tenait le coup » à la simple audition ; mais on la trouver encore
davatage en situation lorsquelle est associée à son expression chorégraphique : les
sarabandes, passacailles (sic) [il s'agit en réalité de chaconnes, note de
LEventail] et autres menuets prennent leur sens organique grâce aux entrelacs subtils du
dessin chorégraphique. (...)
Touchant et efficace
Pendant les cent cinq minutes de ce spectacle subtilement chorégraphié par Marie-Geneviève
Massé, la musique et la danse sont en constante interaction, lune sincarnant dans lautre en un
flux aussi touchant quefficace.
Dans la fosse, les musiciens entourent Hervé Niquet, dirigeant du clavecin, comme sil
étaient assis autour dune table de banquet. Cette disposition, où plusieurs pupitres (violon
1, violon 2, flûtes 1 et flutes 2, etc.) se font face, donne au son un ensemble, une rondeur, une
homogénéité il est vrai favorisés par lacoustique chaleureuse de ce théâtre aux
dimensions idoines. (...)
Le spectacle est très préparé, les danseurs admirables à quelques détails près (certaines
figures méritaient quelque ajustement. Une fois la comédie un peu resserrée, ce Carnaval ou
la Fête à lenvers sera un ravissement.
Ils sétaient juré de travailler ensemble. Hervé Niquet, directeur
musical du Concert Spirituel, a proposé à Marie-Geneviève Massé, directrice de la
Compagnie de danse baroque LEventail, une chorégraphie sur les Apothéoses de
Corelli. « Comme je trouvais ce projet trop compliqué, il ma convié à entendre les quatre
Ballets de village et la Sérénade de Boismortier qu'il était en train
d'enregistrer. Plus dansant, ça nest pas possible », mavait-il dit.
« Effectivement ! commente la chorégraphe. Comme dhabitude, jai écouté la musique des
centaines de fois pour quelle raconte ce quelle avait dans le ventre et me souffle une idée qui
permette de traiter lépoque baroque sans la trahir. »
Ainsi lidée du Carnaval vient-elle à Marie-Geneviève Massé. Les Ballets de
Village serviront de support musical aux divertissements. La Sérénade n°1
sintercalera entre eux pour mener l'histoire, celle de Colin, qui accepte de devenir roi de
Carnaval de février 1759. « Le thème du Carnaval a l'avantage dêtre naturellement voué
à la danse, connu de tous, et de rassembler une multitude de personnages : outre le roi du
Carnaval, qui dirigeait les divertissements toute la semaine, et dont on brûlait leffigie à la
fin, il y avait les princes de Haute Folie, de Bon Temps et de la Lune, les Seringueux,
caricatures des médecins, Coquillard, qui moquait ladministration, les travestis du
mariage à lenvers, etc. » De quoi vous sentir une gigue denfer vous piquer les jambes !
Enfin ouvert aux représentations publiques, le ravissant Opéra royal de Versailles accueille la compagnie
de danse baroque LEventail.
Que le spectacle commence au rythme des plaisirs et des jeux dun « Carnaval au XVIIIe
siècle ».
Carnaval à Versailles
Qui donc, après ce délicieux ballet joliment titré « le
Carnaval ou la Fête à lenvers », oserait encore prétendre que la danse baroque
est pompeuse, voire ennuyeuse ?
Nous sommes au temps du Régent, loin des solennités du règne de Louis XIV.
Le compositeur chéri de la cour se nomme alors Joseph Bodin de Boismortier...
« Un homme très fréquentable puisquil a horreur de s'embêter » : cest Hervé
Niquet qui parle, le chef du Concert Spirituel, orchestre baroque où les violons
voisinent avec les vielles et les musettes : « Voici deux ans, nous avons enregistré
les "Quatre Ballets de Village" de Boismortier.
Marie-Geneviève Massé, qui dirige la compagnie L'Eventail, était présente.
Séduite, subjuguée et tellement excitée que nous avons dû la mettre à la porte
du studio : elle commençait à chorégraphier ! »
Les coups de foudre ont parfois des lendemains. La preuve, inspirés par ces musiques,
Marie-Geneviève Massé et Hervé Niquet ont créé cette « Fête à lenvers »,
ballet-spectacle, théâtre-ballet, comédie musicale à lancienne, indéfinissable miracle dinvention
et de liberté (...)
Le « vocabulaire codé » de la danse baroque est ici transcendé par
limagination et la jubilation des interprètes.
La musique grimpe à lassaut de la scène. Les danseurs, à loccasion, se font comédiens, les
costumes se déploient entre lhistorique et le fantaisiste. On retrouve la même veine
vigoureuse de la commedia dellarte telle que lapplaudissait le peuple de Paris sur les
tréteaux des foires, mais aussi la nostalgie suave des distinguées fêtes galantes peintes
par Watteau ou Lancret. Un spectacle qui, à tire daile, vous fait remonter le temps, vous ramène
en un siècle où Louis XV était « le bien-aimé », où la musique ignorait les
« sonos » et la danse les « projos ». On rêve. Si fort qu'on
est bien étonné, en quittant le Théâtre royal, de ne point retrouver à la Grande Grille
son carosse et ses chevaux... ni même une citrouille !
Pour la première saison des Nouveaux Plaisirs de Versailles,
le département de la musique et des spectacles du Château de Versailles a ouvert le somptueux
théâtre bleu et or de Gabriel pour accueillir Les Caprices de la Danse, de Marie-Geneviève Massé.
Sous-titré Ballet à la cour de Louis XV, ce spectacle nest pas une laborieuse reconstitution historique,
mais une création originale et pleine dinvention, dans le goût baroque.
La chorégraphe a eu lexcellente idée de redonner la vie à six Symphonies chorégraphiques
de Jean-Ferry Rebel (1666-1747), directeur du Concert Spirituel sous Louis XV et compositeur égal aux plus grands,
comme le prouve son stupéfiant Cahos qui ouvre les Eléments.
Une musique dune richesse extraordinaire, magnifiquement jouée sur instruments anciens par lOrchestre du
concert spirituel que dirige Hervé Niquet.
Toute la soirée, le plaisir du spectateur se partage entre la scène et la fosse, entre la
danse et la musique. Toutes deux rivalisent de séduction et de subtilité.
La couleur des trompettes et des timbales dans La Terpsichore, des cors de chasse ou des
flûtes à bec confèrent une somptueuse chaleur à ces premières Symphonies chorégraphiques
de lhistoire, que lon découvre avec ravissement dans cette interprétation versaillaise. (...)
Temps fort des Nouveaux Plaisirs de Versailles - qui offrent dans
tout le domaine de Versailles des concerts de musique baroques, romantiques et contemporaines -
ces Caprices de la danse sont une reconstitution dun ballet au temps de Louis XV.
On était alors fou de danse et lEurope avait alors les yeux fixés sur la cour de Versailles.
Le spectacle qui a pour cadre le précieux écrin de lOpéra royal, est une féérie. La
Compagnie LEventail de Marie-Geneviève Massé, se déploie dans des jeux de masque et de
lumières où le raffinement des costumes, lélégance et la subtilité des gestes sont
dun art consommé, révélateur dune culture à l'apogée de son art. Le faste nempêche ni
lesprit, ni la légèreté : la danse était alors un acte social autant que de
divertissement.
Hervé Niquet (victoire de la musique) interprète avec son ensemble baroque,
Le Concert Spirituel, les musiques très originales de Jean-Fery Rebel.
Un spectacle délicieusement évocateur des divertissements
raffinés quaffectionnait le « Grand Siècle », digne du cadre royal qui la
accueilli pour quatre représentations, théâtre écrin, chef-dœuvre du premier architecte de
Louis XV, Ange-Jacques Gabriel et du machiniste Blaise-Henri Arnoult, inauguré lors du mariage
du Dauphin et de Marie-Antoinette, en mai 1770, sa vocation était daccueillir toutes les formes
de « lart de la scène », vocation avec laquelle il renoue aujourdhui grâce aux
Nouveaux Plaisirs de Versailles. (...)
Interprétée sur des instruments anciens par lOrchestre du Concert Spirituel la
magnifique musique de Jean-Fery Rebel est en soi un régal en parfaite harmonie avec la danse.
Harmonie est le maître mot de ce spectacle rare.